Les baleines, gardiennes de la planète

Le 22 février sort au cinéma “ Les Gardiennes de la planète”, un film-documentaire spectaculaire réalisé par Jean-Albert Lièvre et raconté par Jean Dujardin. La Fondation de la Mer est partenaire de cet évènement et notre programme de collectes de déchets “Un geste pour la mer” est mis en avant sur une plateforme à impact.

Le film s’ouvre sur les paroles du poème d’Heathcote Williams : Whale Nation, qui nous accompagnera durant tout notre voyage :
“Depuis l’espace, la planète est bleue.
Depuis l’espace, la planète est le territoire
non pas des humains, mais de la baleine.“

L’écran devient la scène d’un ballet où les gracieux danseurs pèsent plusieurs dizaines de tonnes. De la baleine bleue à la baleine grise, en passant par la baleine à bosse, le rorqual ou encore la baleine franche, la baleine boréale ou le cachalot, tous les mammifères rencontrés nous fascinent. Ce film célèbre l’extraordinaire intelligence de ces géants de l’Océan et leur mode de communication complexe. Mais comment se faire entendre sous ces montagnes liquides, habitées par des centaines de milliers d’autres espèces ?

L’équipe de la Fondation de la Mer avec Jean-Albert Lièvre et Jean Dujardin

Le silence de la mer

Pour Hervé Moulinier, docteur en acoustique, ingénieur en électronique et membre du Conseil Scientifique de la Fondation de la Mer, le silence de la mer n’existe pas. L’obscurité elle, est bien présente. A partir de 50 mètres sous la surface il fait de plus en plus noir, et c’est alors l’acoustique qui permet de se repérer et communiquer.

Dans les profondeurs sous-marines, beaucoup d’organismes marins font du bruit. C’est donc dans une joyeuse symphonie sous-marine (volontaire ou non) que les baleines évoluent : claquement des coquillages, mastications des proies… Nos oreilles humaines, elles, ne sont pas complètement adaptées pour entendre tous les sons sous-marins (de 5hz à 250Khz, une gamme de fréquences dix fois plus large que ce que nous pouvons entendre) et les analyser finement.

Le son est une onde de pression. Plus le milieu est dense et mieux elle se propage. La densité étant variable (température de l’eau, salinité, pression), l’onde ne se propage pas en ligne droite comme pour la lumière et peut être limitée à un conduit. Sous l’eau le son se réverbère et il peut se propager très loin. Une autre propriété de la propagation du son concerne sa fréquence : plus la fréquence est haute plus l’onde est atténuée, mais plus elle est directive. Les fréquences utilisées par les cétacés dépendent de l’espèce et de l’activité. Il y a peu d’interactions entre les sons, ils s’ajoutent les uns aux autres ce qui crée cette cacophonie. A cela il faut ajouter beaucoup de bruits parasites comme celui des bateaux à moteur ou du déferlement.

D’ailleurs Jean Dujardin le raconte avec les mots du poète :
“Notre monde n’est pas celui du silence,
Nous glissons sur un océan de son.
Les murs de notre planète sont des salles de concert.
Concentrées nous écoutons, analysons, scannons.
Nous enregistrons tout.” 

Un opéra sous la mer

Les baleines possèdent une mauvaise vision en trois dimensions. Ces mammifères vont donc privilégier une communication sonore, qui peut traverser les miles. Chants, phrases musicales, vibrations et sifflements, les cétacés sont des artistes des mers.

Parmi eux, les baleines à dents ont la capacité d’émettre des sons qui vont refléter les objets et les organismes qui se trouvent autour d’eux. Ces sons, qui voyagent très rapidement dans l’eau, rebondissent un peu partout. En rassemblant les échos de ces sons, elles obtiennent assez d’information pour voir sans leurs yeux. Ce type de sonar biologique permet aux baleines à dents de naviguer et de chasser dans des eaux très sombres où la visibilité est mauvaise. Ce système de repérage est si précis que des dauphins dans un aquarium peuvent distinguer des objets de la taille d’un grain de maïs à 15 mètres d’eux !

« L’écholocalisation se déroule en deux temps : tout d’abord, l’animal émet des sons qu’il analyse ensuite. Les sons partent de la tête de la baleine et sont concentrés dans le melon, la bosse sur son front. Lorsque le son percute un objet, il revient vers l’animal en passant à travers des tissus conducteurs du son situés dans la mâchoire inférieure. De là, il termine son chemin dans l’oreille interne (les baleines n’ont pas d’oreille externe  !). Le cerveau traite ensuite l’information. » (source)

“Des familles de baleines, des tribus de baleines,
Toutes ont des chants différents :
Une langue acoustique imagée,
des impulsions spirituelles relayées par l’eau
A cinq fois la vitesse à laquelle les sons voyagent dans l’air (…)
Une baleine à bosse solitaire peut donner un concert en solo qui dure des jours.
Dans le chant d’une demi-heure d’une baleine à bosse,
Il y a cent millions d’octets,
Un million de changements de fréquence,
Et un million de torsions tonales…”

Les sons émis par les baleines sont très intenses et divers : il est possible d’entendre des baleines bleues à plus de 50 km. Quant aux chants des baleines à bosse, ils sont tellement forts qu’ils peuvent faire vibrer la coque d’un bateau à proximité.

“On n’est pas forcément capable d’identifier ce que disent les cétacés. On sait de quoi ils parlent. C’est un peu comme écouter une langue étrangère” témoigne Hervé Moulinier.

Le rôle de ces émissions sonores peut avoir plusieurs fonctions : elles permettent la cohésion du groupe et la socialisation des individus (relation mère-petit, recherche de partenaire, défense d’un territoire ou affirmation d’une hiérarchie…) et seraient aussi utilisées pour rechercher de la nourriture, identifier des proies, des dangers, ou s’orienter.

Quand le bruit devient un danger

L’Objectif de Développement Durable 14 de l’ONU concerne la vie aquatique et l’acoustique est un des indicateurs utilisés pour évaluer la qualité du milieu marin.

Les notes musicales des animaux marins se perdent depuis quelques décennies, lentement ensevelies sous une quantité grandissante de bruits causés par les activités humaines. Suivant la croissance de l’industrialisation de l’Océan ces dernières décennies – expansion des ports, intensification du transport maritime, exploration et développement minier et gazier – le bruit des activités humaines commence à perturber le paysage sonore naturel de l’océan. Les impacts de ce phénomène sont maintenant documentés dans tous les écosystèmes marins, des baleines jusqu’au plancton. (source)

Des solutions sont aujourd’hui mises en place ou à l’étude pour réduire le bruit des bateaux et optimiser les hélices. Par ailleurs, quand les ferries traversent le sanctuaire Pelagos (espace maritime de 87 500 km² faisant l’objet d’un accord entre l’Italie, Monaco et la France pour la protection des mammifères marins qui le fréquentent), ils ont des répulseurs pour les cétacés. Sur le Vendée Globe, 2020, le navigateur François Gabart rapporte que près de la moitié de bateaux étaient équipés de pinger (répulsif acoustique).

Des pistes d’amélioration existent, pour que l’Océan reste une immense étendue où les baleines peuvent chanter leurs parades nuptiales, indiquer leurs déplacements et se rencontrer.