Marins et précarité : la pêche au large en Sicile sous le prisme de la sociologie

Gaëlle Troadec, lauréate 2022 de la Bourse de thèse de la Fondation de la Mer, a une nouvelle fois été récompensée pour la qualité de ses travaux, en recevant l’un des Prix de thèse de la Ville de Marseille fin 2024.

Elle y a reçu le 2^ème Prix dans la thématique Méditerranée. Sa thèse de sociologie, intitulée Pêcher coûte que coûte ? Ethnographie d'armements chalutiers aux confins de l'Europe a été soutenue en 2023 à Aix Marseille Université, au Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail (LEST), sous la direction de Delphine Mercier.

Dans sa thèse, Gaëlle Troadec s’est intéressée à l’évolution du secteur de la pêche en Sicile, à Mazara del Vallo, l’un des premiers ports de pêche d’Italie. Pendant un an, elle a mené une enquête de terrain pour comprendre l’évolution de cette filière halieutique ainsi que ses transformations actuelles. Elle y a étudié le travail et les carrières des armateurs (propriétaires et/ou gestionnaires des navires de pêche) et des marins pêcheurs en mer, cadres comme ouvriers. Sa recherche met en lumière les changements profonds qui touchent les entreprises de pêche au large et les incertitudes auxquelles doivent faire face les professionnels du secteur.

Depuis les années 1960, le succès économique de la pêche à Mazara del Vallo, spécialisée dans l’exportation de crevettes comme produits gastronomiques, s’est appuyé sur une main-d’œuvre immigrée tunisienne, embarquée à bas coût. Ce modèle, à la fois rentable et fragile, a permis à certains armateurs d’acquérir un prestige local fort, avec l’investissement des profits dans l’immobilier plutôt qu’au renouvellement des bateaux, traduisant un désengagement vis-à-vis de la pêche. Aujourd’hui, la classe d’armateurs est en pleine transformation : les fonctions au sein des entreprises de pêche se dissocient, et certains armateurs s’impliquent moins dans l’activité. L’étude de plusieurs familles d’armateurs a mis en évidence ces évolutions, entre les propriétaires de bateau qui se détachent totalement du métier – parfois en n’aspirant qu’à la prime de démolition de leur bateau – et les capitaines salariés, qui sont dépourvus de parts dans l’entreprise.

Les conditions de travail à bord des chalutiers sont souvent négociées de manière informelle et dépendent beaucoup des réputations des futurs salariés. La main-d’œuvre immigrée reste cantonnée aux postes d’exécution, conséquence à la fois d’un recrutement structuré à l’échelle internationale par le syndicat italien des armateurs et de pratiques d’embauche discriminatoires. Ce contexte favorise un fort turn-over, bien que de nombreux marins tunisiens poursuivent des carrières longues et discontinues, inscrites dans des parcours migratoires familiaux transnationaux. Par ailleurs, le système de rémunération à la part, propre au secteur de la pêche, renforce une gestion de la main-d’œuvre basée sur l’attente et l’incertitude. À travers cette ethnographie des pratiques d'emploi et de travail de différents acteurs de la filière de la pêche au large, la recherche de Gaëlle Troadec illustre les effets inégalement répartis du déclin de ce secteur industriel.

« J’en profite pour remercier chaleureusement la Fondation de la Mer pour m’avoir octroyé une Bourse en 2022, ce qui m’a permis d'achever sereinement la rédaction de ma thèse. » termine Gaëlle Troadec.

Vous avez aimé cet article ? Recevez nos articles tous les mois ainsi que les actualités liées à l'Océan chaque mois dans votre boîte mail, inscrivez-vous à notre newsletter !

Photographie de couverture : Roselena Ramistella