Vers une prochaine exploitation des grands fonds marins ?

L’ONU a adopté, le 19 juin 2023, le premier traité international pour protéger la haute mer. Après une session début juillet, Les 168 pays membres de l’Autorité internationale des fonds marins se remettent à la table des négociations, du 30 octobre au 8 novembre, en Jamaïque. L’enjeu pourrait se résumer ainsi : faut-il autoriser une ruée vers l’or à 20 000 lieues sous les mers ?

En France, le 17 janvier 2023, l’Assemblée nationale s’est prononcée à la majorité absolue en faveur d’un moratoire contre l’exploitation minière des grands fonds marins. Et dans ses voeux au monde maritime, Hervé Berville a souligné sa fierté que « la France porte à l’international l’interdiction de l’exploitation minière des grands fonds marins ». Pour contribuer au débat public, la Fondation de la Mer a publié une étude sur le sujet.

Grands fonds marins, quels choix stratégiques pour l’avenir de l’humanité ? Une étude de la Fondation de la Mer

Les grands fonds marins sont au cœur des enjeux écologiques, géostratégiques et humains de l’humanité. Ils suscitent un intérêt croissant de la part de la communauté internationale, comme de nombreux pays, qui se positionnent déjà sur leur exploitation. Pourtant, ils sont encore le royaume de l’inconnu : 10% des espèces qui y vivent ont été répertoriées, le fonds de l’Océan est moins connu que la surface de la Lune.

Le Think tank de la Fondation de la Mer a mené, en partenariat avec le Cabinet Advention, une étude approfondie autour des grands fonds marins, afin de déterminer précisément leur densité et leur localisation. Cette étude publiée au printemps 2022 révèle notamment que la France possède la plus vaste superficie au monde de grands fonds marins au sein de sa Zone Economique Exclusive et qu’elle a donc un rôle essentiel à jouer dans l’exploration et la protection de ces sanctuaires.

Parce qu’il est urgent d’agir, la Fondation de la Mer formule six recommandations pour la France et trois pour l’Europe et à l’international en faveur des grands fonds marins.

Neuf pistes d’action pour la France, l’Europe et à l’international

1️⃣ Compléter la stratégie de France 2030, notamment en précisant et garantissant le financement des projets de recherche annoncés lors du CIMer ;
2️⃣ Prioriser les domaines d’investissement, en suggérant trois orientations principales (connaître et surveiller, améliorer la dualité des projets civil et militaire ainsi que les coopérations européennes et internationales) ;
3️⃣ Devenir leader dans les technologies de récupération et du recyclage des métaux rares ;
4️⃣ Développer des outils de financement innovants (sociétés à capital mixte, collaborations internationales, appel au public, etc.) ;
5️⃣ Associer, suffisamment en amont, la société civile à la définition des grands choix stratégiques ;
6️⃣ Définir des « sanctuaires des profondeurs », zones totalement protégées reliées entre elles par des corridors biologiques sous-marins ;
7️⃣ Contribuer à l’élaboration des normes, alors qu’un code minier pour la haute mer est en cours d’élaboration ;
8️⃣ Rejoindre l’initiative Seabed 2030 ;
9️⃣ Comme membre de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), contribuer à l’évolution de sa gouvernance.

Les chiffres clés de l’étude

🔸 Les grands fonds représentent 88% du plancher océanique, soit une surface totale estimée à trois cent vingt millions de km2.
🔸 Le volume total d’eau située dans la zone des grands fonds marins atteint 1 milliard de kilomètres cubes, ce qui équivaut à 75% du volume des océans.
🔸 La mer Méditerranée présente près de 60% de grands fonds marins soit 1,5 millions de kilomètres carrés pour une surface totale de 2,5 millions de kilomètres carrés.
🔸 La France possède la plus vaste ZEE en zone de grands fonds marins dans le monde avec 9,5 millions de kilomètres carrés de ZEE situés sous 1000 mètres de profondeur, soit 93% de sa surface totale.

“Les grands fonds marins sont la nouvelle frontière de l’humanité, une frontière riche d’une vie insoupçonnée, à la différence des confins de l’espace. Sanctuariser, réguler ou a fortiori exploiter sans connaître n’est pas une solution. Car en l’absence de connaissance, pas de choix éclairé, pas de régulation crédible, pas de moyens de surveillance. À l’heure de la remise en cause du fait scientifique, la connaissance est notre meilleur atout. Investissons dans la connaissance des grands fonds marins : plus de 90% de notre ZEE se situe au-delà de 1 000 mètres de profondeur. Il nous faut cet avantage comparatif de la connaissance.” 
Sabine Roux de Bézieux, présidente de la Fondation de la Mer